Stratégie

Contribuer à notre échelle au bien commun

Interview croisée entre Eric Ducournau, Directeur Général des Laboratoires Pierre Fabre et Emma Haziza, hydrologue.

Conscient de la nécessité d’agir avec urgence face au défi du réchauffement climatique et des sécheresses récurrentes qu’il provoque, les Laboratoires Pierre Fabre intègrent la décarbonation de leurs activités et la préservation du vivant à leur stratégie de développement.

Éric Ducournau, Directeur Général du Groupe, et Emma Haziza, hydrologue et spécialiste des stratégies de résilience des territoires face aux risques climatiques, échangent sur les approches à adopter pour préserver la ressource, l’eau en particulier.     

Qu’est-ce qui fait de l’année 2022 une année hors normes du point de vue du changement climatique ?

Emma Haziza : Il y a eu un déficit de pluie durant la phase hivernale et les nappes phréatiques n’ont donc pas pu se recharger. Nous avons aussi connu plusieurs vagues de chaleur, dont certaines précoces et d’autres tardives. 2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde et, en France, le Sud-Ouest a été particulièrement touché.

Quel est l’impact de ce dérèglement pour Pierre Fabre ?

Éric Ducournau : La fabrication de produits cosmétiques nécessite beaucoup d'eau et plus de 60% de nos produits contiennent un actif issu de la nature. La limitation des ressources nous invite à explorer des solutions nouvelles. Je pense, par exemple, aux usines «sèches» qui permettraient de réduire au moins de moitié la consommation d'eau, mais aussi au développement de la culture de plantes médicinales en agroécologie, qui entretient les paysages et les sols. Notre entreprise a été créée par un visionnaire en matière de protection de l'environnement. Nous avons eu conscience très tôt que le climat était un enjeu de survie pour les entreprises. Avec Green Mission Pierre Fabre, nous participons à notre échelle à l'effort collectif pour contribuer à l'objectif planétaire de neutralité carbone.

Quel est le rôle des entreprises dans la lutte contre le changement climatique ?

Emma Haziza : En France, la réglementation freine encore beaucoup d'évolutions qui semblent de bon sens, comme utiliser de l'eau de pluie plutôt que de l'eau potable pour certains usages sanitaires. Par ailleurs, pour créer sa résilience, il est essentiel de dépendre le moins possible des autres. Un extrême climatique n'est pas sans conséquence pour les clients ou les fournisseurs de l'entreprise, mais aussi pour l'entreprise. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale en août 2022 liées à la sécheresse survenue en Chine l'illustrent. Les entreprises doivent analyser leurs interdépendances pour identifier les risques.

Éric Ducournau: Notre première responsabilité est de revoir nos processus industriels, à travers la reformulation de nos produits, mais aussi d'accroître notre indépendance vis-à-vis des importations de matières premières. C'est en effet un travail qui doit être collaboratif, avec tous nos fournisseurs locaux ou nationaux, et ce, afin de repenser l'ensemble de la chaîne de valeur. Enfin, il est important que les entreprises œuvrent pour faire évoluer la réglementation afin de faciliter la mise en œuvre des actions.

Quelles sont les mesures mises en place par le Groupe pour une meilleure gestion de l'eau ?

Éric Ducournau : Nous sommes engagés depuis plusieurs années pour la réduction de la consommation en eau sur l'ensemble de nos sites de production et avons démarré plusieurs programmes d'investissements. Pour prendre un seul exemple, notre site de dermo-cosmétiques à Soual a réduit la consommation de 22 % ces quatre dernières années, et ce site est en phase de devenir une usine en boucle quasi fermée, avec la réutilisation d'une partie des eaux usées après traitement. Entre autres actions, nous avons aussi réduit le débit des eaux de forage alimentant notre unité de production d'Avène-les-Bains.

Êtes-vous optimistes sur notre capacité collective à relever le défi du changement climatique ?

Emma Haziza : Oui, car il y a beaucoup de solutions que nous pouvons mettre en œuvre. À nous de repenser plus intelligemment la question de la ressource pour la préserver. Nous devons revoir notre rapport à l'eau et mieux jouer avec son cycle. Toutefois, pour réussir, les solutions qui existent doivent être appliquées de manière collective.

Éric Ducournau : Les économies libérales n'ont pas l'habitude d'être confrontées à des phénomènes d'une telle ampleur qui nécessitent une mobilisation générale et une transformation en profondeur de la société. La situation appelle plus de gouvernance de la part des pouvoirs publics et des entreprises. Je crois en l'approche volontaire et collective, comme en témoigne le Consortium du Green Impact Index que nous avons créé avec d'autres fabricants pour améliorer l'éco-socio-conception des produits. Je reste optimiste, car il y a toujours un chemin et c'est, pour nous industriels, l'opportunité d’ouvrir de nouvelles voies d'innovation.